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Interview croisée : Serguei Spoutnik et Thomas Belhom

Interview Publié le 08/02/2021

Ouvrons cette année avec deux identités créatrices fortes qui nous parlent de leur process et de leur façon de vivre ce monde incertain.

De quoi parle votre musique ? 

Serguei Spoutnik : Ça parle des fenêtres… Qui ne s’est jamais retrouvé le soir à regarder, à travers une fenêtre, ces moments volés dans la lumière chaleureuse des maisons ou des appartements de parfaits inconnus ? Dans cet EP « Subject, Verb, Complement », cette fenêtre c'est une caméra de vidéo surveillance ou une chaîne Youtube confidentielle. Mais alors que deviennent ces scénettes volées lorsqu’elles sont dépourvues de présence humaine ? La pièce de théâtre devient une contemplation, un terrain de golf une œuvre d’art. De par leurs vertus thérapeutiques, la fenêtre, l’écran, transmettent et reflètent de l’intérieur vers l’extérieur, de l’intérieur vers l’intérieur…

Thomas Belhom : Ma musique parle essentiellement de liberté, la liberté de tracer son chemin bien à soi, de s'écarter des styles déjà pré-établis par lesquels il est facile de se revendiquer. Je pense qu'une empreinte sonore existe au même titre que celle sur le doigt, rare et unique. Par conséquent, se renouveler, se surprendre font partie de la création, se chercher, se trouver, se perdre aussi, en tout cas user de cette liberté d'aller où j'ai envie avec la musique pour toucher les gens. L'art permet de toucher l'autre sans le toucher physiquement, c'est pour ça que pendant les confinements c'est si essentiel.

Quel est votre processus créatif ? 

S.S : Je me suis défini plusieurs périmètres pour cet EP. Comme le fait de n’utiliser qu’un seul instrument, un synthé Roland alpha juno ou de n’utiliser que des pistes enregistrées sur VHS en une seule prise. Chaque titre est une petite bande originale d’une des 5 vidéos que j’ai réalisé pour cet EP. L’édition est faite également sur VHS et les voix sont composées et enregistrées après les pistes de synthés.

T.B : Stuart Staples des Tindersticks avec qui j'ai beaucoup collaboré me disait qu'il faut laisser la chanson venir à soi plutôt que de forcer les choses. Il y a d'autres processus explorés avec le groupe : Animat (Paul Rogers, Cédric Thimon, et moi) où nous alternons des moments très composés à l'avance avec des idées venant strictement des improvisations. Le processus créatif aujourd'hui bénéficie de l'apport des technologies, je peux chercher des idées en groupe ou seul en enregistrant tout le temps avec une qualité permettant (presqu'à chaque fois) d'être utilisé directement sur l'album.

Comment 2020 a-t-elle impacté votre rapport à la musique et votre situation sociale ? 

S.S : Musicalement, elle s’est traduite par l’arrêt brutal de mon groupe de musique QDRPD et par la naissance du projet solo Serguei Spoutnik. D’un point de vue social, on va dire que j’ai essayé de ne pas refaire le premier confinement qui avait été pour ma part une opportunité de couper les ponts avec le monde extérieur. Ce n’était pas si mal pendant quelques semaines pour se concentrer sur les projets mais pour le deuxième confinement, j’ai instauré des habitudes avec les amis pour ne pas perdre le fil et la boule…

T.B. : Le début d'année 2020 était très dynamique pour moi, jusqu'à la mi-mars ; je tournais en première partie des Tindersticks, j'avais un nouvel album à défendre et d'autres concerts étaient envisagés après mars. Quand tout s'est arrêté, ce fut comme une sorte d'apocalypse et personne à l'époque ne savait où nous allions, j'ai aimé l'incertitude des premiers mois. Comme il me fallait trouver de l'argent (je ne suis pas intermittent du spectacle), j'ai donc fait de la livraison en camion. C'était une pause forcée avec la musique, je l'ai apprécié parfois mais très vite le rapport humain lors des concerts, l'enjeu de monter sur scène, toutes ces caractéristiques du spectacle vivant sont venues enfreindre la notion de liberté, et de se sentir soi-même vivant.

Comment vous projetez-vous dans ce monde incertain ?

S.S : Dès que les salles pourront rouvrir, j’ai le projet d’aller voir en concert des artistes que j’admire. Je veux traverser la France pour les voir... ou la rocade ! Cela me manque énormément et j’espère que ce manque est partagé, que cela créera un sursaut exceptionnel. Mon projet musical n’est pas professionnalisé, c’est un choix, ça l’a toujours été et pour le coup je ne suis pas réellement impacté par cette crise. Je pense que le public sera au rendez-vous, l’attente étant tellement longue, mais les artistes le seront-ils toujours avec autant d’enthousiasme après cette année catastrophe pour eux ? Je l’espère...

T.B : Le futur je le vois sans visage, parce que nous portons tous des masques et parce que j'ai du mal à l'envisager. Je ne pense pas que l'on puisse continuer comme avant. Les lieux où se rassemblent les gens pour partager de la musique pourraient être plus sobres, plus petits et moins prétentieux, ça ne serait pas plus mal. Malheureusement, beaucoup de ces structures, maisons de disques, salles de concert, ont déjà mis la clé sous la porte. Pour la plupart, il s'agît déjà de se relever financièrement, j'espère qu'elles seront aidées et qu'elles se multiplieront. Je rêve de lieux où s'exerce la pensée avec les arts et avec des gens qui se cherchent plutôt que des lieux de divertissements où les gens s'oublient.

Pour suivre les actus de Sergueï Spoutnik et Thomas Belhom, rendez-vous sur :

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